Je vais commencer par dire que ce petit essai m’a fait du bien sans être pour autant d’accord avec l’ensemble des propositions avancées. L’auteur, Russell « Maroon » Shoatz, réfléchit et nous invite à réfléchir aux questions d’organisations, centrales pour les révolutionnaires. Vous allez me dire que ça n’a rien d’innovant, les questions d’organisations sont débattues depuis des lustres. Mais cet essai a quelque chose de différent !
D’abord, suite à un effort de vulgarisation non négligeable, les débats de fond stratégiques sont rendus accessibles à tou·tes. Ensuite, cet essai se termine par un dialogue entre l’auteur et Steve Bloom, poète new-yorkais et militant à Solidarity, au cours duquel ils discutent, échangent des arguments et surtout, se laissent convaincre. Ceci ne devrait pas manquer de nous inspirer sur la manière dont nous pourrions mener les débats dans l’ensemble de nos cadres militants.
Marronage et révolution haïtienne
L’autre aspect qui nous ravit, c’est que ce livre aide à penser les formes d’organisations révolutionnaires au travers d’autres exemples que ceux issus de l’Occident, telles les luttes exemplaires des communautés de Marrons au Suriname et en Jamaïque ou encore la révolution Haïtienne. Les Marrons se sont notamment organisés en autonomie des colons esclavagistes : « les marronages, qui se développaient dans cette partie du monde, employèrent des formes très efficaces d’organisations décentralisées qui leurs permettaient non seulement de vaincre leurs anciens esclavagistes, mais encore de rester autonomes vis-à-vis de tous les surveillants indésirables pendant des centaines d’années – jusqu’à nos jours » précise R. « M. » Shoatz (p. 36).
À partir de ces événements, et en utilisant la métaphore de l’hydre et du dragon, l’auteur questionne le parti centralisé, issu notamment des traditions marxistes-léninistes, pour penser une autre forme d’organisation : « MOSAIC : Movement of Oppressed Sectors Acting In Concert ». Pour l’auteur, la « mosaïque » est un point de départ idéologique qui servira tous nos intérêts individuels et collectifs. On pourrait également l’appeler « autodétermination intercommunautaire » (p. 62).
Sans forcément partager entièrement ce point de vu, il a le mérite de nous faire rediscuter des bilans des organisations marxistes, notamment au travers du dialogue final autour de l’essai présenté ici et de La Révolution trahie de Léon Trotsky (Éditions de Minuit).
Quelle organisation pour les activistes révolutionnaires ?
C’est la grande question que rouvre ce livre, sans la clore complètement. Question dont nous devrions discuter pour se coordonner et pour intervenir dans le mouvement. À A2C, nous avons publié un texte de Vanina, Élaborer une stratégie, dans le mouvement et pour le mouvement, qui revient souvent dans nos discussions. Elle y développait notre point de départ : « La stratégie que nous proposons est celle de l’autonomie de notre classe. D’abord, parce que nous pensons qu’il n’y a pas de raccourci à l’émancipation : elle ne peut être l’œuvre que des premier·es concerné·es. Cette stratégie ne cherche donc pas d’abord à se démarquer, mais à convaincre et entraîner la majorité. Chaque personne qui reprend confiance dans sa capacité à agir, chaque personne qui s’organise, est une personne qui renforce notre capacité collective à gagner. »
Et malgré certains désaccords que nous pouvons avoir avec les thèses défendues par l’auteur de L’Hydre et le Dragon, notamment concernant la décentralisation complète de nos organisations, ce livre est un outil pour mener des discussions stratégiques avec des activistes du mouvement et nous permet de nous organiser plus efficacement pour mieux gagner.